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Les monstres sont parmi nous – La Tribune

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La tribune, 12 novembre 2005

Émilie Dubreuil

L’auberge Ripplecove respire le luxe calme des vieux domaines des Cantons-de-l ‘Est. Dans le stationnement, les BMW côtoient les Mercedes des touristes américains venus prendre du bon temps sur les berges du lac Massawippi et profiter de la table réputée de l’endroit.

Dans le hall aux allures victoriennes, les clients, habituellement discrets, sont excités comme des enfants; le personnel attentif et courtois de l’auberge est assailli de questions. La cause de ce brouhaha inhabituel: un des clients dit avoir photographié la bête légendaire: un poisson énorme non identifié, le monstre du lac Massawippi dont les vieux
parlent autour du feu pour faire peur aux enfants. Celui-ci s’est montré au petit matin, non loin du court de tennis et s’est
même laissé photographier.

Depuis cette apparition furtive en août dernier, «Wippi», c’est son nom, alimente toutes les conversations. Dans son bureau capitonné vert forêt, Jeff Stafford, propriétaire de l’auberge, n’en finit plus de répondre aux courriers électroniques des experts en monstres marins. Les messages proviennent d’un
peu partout sur le globe… Les chasseurs de monstres veulent voir de leurs yeux les fameuses photos prises en face de
l’auberge.

Autres monstres

Les riverains du lac Massawippi ne
sont pas les seuls au Québec à pouvoir se targuer de vivre à proximité d’un monstre et, surtout, d’en avoir vu un. Guy Leblanc demeure à Pohénégamook depuis 1989. Il y a une dizaine d’années, alors qu’il se baladait en bateau, il a croisé «Ponik», le monstre du lac, et se considère chanceux d’avoir «rencontré» cet être célèbre dans la région. «Le poisson était beaucoup plus long que mon bateau ponton qui mesure 26 pieds, dit-il. Mon hypothèse, c’est qu’il s’agit d’un esturgeon géant.»

Vérifications faites auprès de biologistes: la chose est absolument impossible. Ces opinions scientifiques, 
Jacques Boisvert, qui croit lui aussi à la thèse de l’esturgeon géant, les a entendues plus d’une fois, mais cela ne l’empêche pas de recueillir depuis 25 ans des témoignages de gens qui
prétendent avoir vu le monstre du lac Memphrémagog qu’il a baptisé «Memphré».

Dracontologie
M. Boisvert s’intéresse tellement aux monstres qu’il a créé une société de «dracontologie», qu’il définit comme la science des animaux cachés vivant dans les lacs! Comme M. Boisvert prend la sémantique au sérieux, il a demandé à un moine de Saint-Benoît-du-Lac, qui maîtrise le grec, de lui créer ce
néologisme qui figure aujourd’hui dans le dictionnaire de l’Office de la langue française!

Selon Guy Lanou, anthropologue à l’Université de Montréal, qui a étudié les manifestations monstrueuses chez les autochtones du Canada, ces «visions» ont tendance à prendre de l’ampleur à des moments très précis de l’histoire de
l’’humanité. «La société est, à bien des égards, une construction imaginaire dans laquelle les individus investissent pour qu’elle se perpétue dans une certaine
continuité. Lorsque des événements viennent perturber cette continuité-révolutions, guerres, catastrophes-, les monstres commencent à apparaître. Après la chute du mur de Berlin en
89, les Soviétiques se sont mis à voir des monstres. Aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il y a eu des records, tout le monde voyait des monstres.»

M. Lanou résume ainsi la question: il n’y a pas de monstres ni dans nos lacs ni ailleurs. Il y a tout simplement des monstres dans nos têtes. «Les gens sont habités par de nombreuses craintes qui sont projetées dans des visions du monstre et du monstrueux. Je crois que cela explique en partie pourquoi tant de personnes ont ce genre de visions, mais aussi pourquoi tant de gens y prêtent foi. Six Américains sur 10 croient que
les ovnis existent même s’ils n’en n’ont jamais vu. C’est tout dire!»

Géants débonnaires
Malgré leurs apparences monstrueuses, Ponik, Memphré ou
Wippi ont une bonne réputation. «Memphré aime tout le monde, ne veut de mal à personne et désire avant tout
qu’on protège son lac», dit M. Boisvert.

Il n’est pas le seul à aimer le poisson géant. À la réception de l’auberge Ripplecove, des employés sont unanimes à dire que «leur» monstre Wippi est aussi un bon bougre. «Je crois qu’il est hypersensible, timide, incompris et seul!» affirme Marianne Plante.


Que ces histoires de monstres soient véridiques ou non ne préoccupe pas Jacques Boisvert. Memphré est un hobby,
un sujet de conversation, une mascotte…
«On peut en jaser, personne ne s’est jamais disputé à propos de lui.» Marianne Plante, elle, dit que ces monstres font
rêver. «Ça nous fait oublier la vraie vie, Wippi nous garde jeunes, c’est ça qui est important!» (La Presse)